Travailles-tu en argentique ou en numérique ? Pourquoi ?
Pour cette série là, uniquement
en argentique. En effet, lorsque je fais une photographie, il y a bien
entendu le temps de la prise de vue, cela tout le monde le sais, mais pas seulement : il y a également celui du tirage. Ce travail, qui s’effectue en chambre noire, est le temps où se révèle
le négatif. C’est le moment où l’on met en jeu le rapport entre l’œil et la main, si cher à Goethe dans sa
façon de concevoir le travail artistique. C’est le moment où je sculpte la lumière en plaçant mes mains dans le rayon lumineux qui traverse le négatif, ôtant de la matière à certains endroits de
l’image ou encore en rajoutant en fermant mes doigts et en utilisant le fin rayon obtenu comme un pinceau sur
une toile. Ce que je fais alors, je ne le discerne pas encore. Pour cela, il faut utiliser un produit, le révélateur. Plongée dans ce dernier,
l’épreuve photographique est tout d’abord muette. On n’y voit rien, mais, petit à petit, quelque chose émerge, quelque chose sourd
du blanc du papier. Ce quelque chose n’est pas tout de suite reconnu. Il a le caractère de l’informe, mais il est plus encore, il est informé : il a été impressionné. Il monte ensuite à la
visibilité pour être vu et reconnu et, là encore, je peux agir pour interrompre ou prolonger ce processus. Chacune de mes photographies est donc une
pièce unique, une écriture avec la lumière, longuement travaillée et
c’est ce que seul permet l’argentique.
Que souhaites-tu transmettre à travers tes images ?
Mes photographies le disent mieux que mes mots car, pour moi, photographier c’est penser en images.
Exposition « Pose »
musicale
« Tenez la pose » fut longtemps l’injonction du portrait. Le progrès
technique de l’instantané a contourné cette nécessité, mais il n’a levé ni la contrainte de la conscience de poser, ni l’abstraction de l’instant. Cette série de photographies réintroduit cette
notion du « tenir la pose » et ce dans l’idée du « tenir la note » musicale.
Tout comme le pianiste fait vibrer la note jouée sur la durée, je fais résonner la personne photographiée. De la pression plus ou moins appuyée de la pédale
« forte » du piano et de celle maintenue du déclencheur de l’appareil photographique résulte alors cette résonance de la note, de l’image.
Ainsi, de l’entendu au vu, se dessine et se discerne la manière dont chacun se donne à voir et à entendre dans sa propre musicalité, celle du corps sensible. Ici
s’ouvre une dialectique de l’immobile qui se retient et s’isole dans sa détermination et du mouvant qui s’épanche jusqu’à l’indétermination.